Du vomi d'acarien

Publié par Yves Rétaud

Que sommes nous? Que vaut notre parole? La réponse est dans le titre.

Du vomi d’acarien. Du vomi. Un acarien.

Un acarien au sens où je l’entends c’est finalement un mec comme moi. Mais n’ayant rien d’exceptionnel, je me mets à croire que nous sommes tous des acariens. Comme tout le monde, je suis membre du club, fondé probablement par un ado on ne sait pas trop quand, intitulé « J’ai pas demandé à venir au monde ». A cela, ajoutons que je fais partie de la branche des quasi-radicaux nommé « et c’est pas demain la veille que je vais me plaire ici ». Les plus extrémistes sont respectivement les clochards et les suicidés. J’ai toute la vie pour me laisser convaincre par leurs arguments. A ce jour, ça ne presse pas.

Je n’ai pas demandé à vivre, mais la vie est une chose qui peut s’avérer plaisante. Il y a les rires, la musique, le sexe, ma langue maternelle, les enfants, l’observation, tout ça… Mais c’est pas demain la veille que la vie me paraitra indubitablement merveilleuse. Il y a Danyboon qui fait des films, David Guetta partout où on voudrait se détendre en picolant, le porno qui gâte nos relations sexuelles de petites bites d’acariens, des fautes d’orthographes (à moins que ce ne soit de la grammaire d’acarien et du coup ça ne compte peut-être pas) à volonté, juste en appuyant sur la touche F5, et la téloche qui abrutit les acarnounets qui grandissent en s’assurant sans le savoir l’avenir médiocre que leur ont prévus les autorités acariennes, et le spectacle de ce monde sans alternative, tu l’aimes ou tu le quittes. Ou au moins tu fermes ta gueule.

Tu n’aimes pas comment on s’est organisé, comment on a tout rangé, comment on vous prend tous en otage, non, pardon, comment on vous a fait vous prendre mutuellement en otage, parce que si tu craques, un autre attends de prendre ta place. Mais sois heureux comme ça, la misère des bouquins de Charles Dickens n’existe plus depuis qu’on t’a inventé la CAF et le Pôle Emploi, franchement, de quoi tu te plains ?

Laisse-nous tes gosses, on gère, contente-toi de les nourrir avec les miettes qu’on te laisse, et si tu ne peux pas assurer, on ne pleurera pas pour eux, mon vieux, demain, ils seront à ta place, et c’est à toi qu’ils en voudront. Parce que tu ne voulais pas jouer. Jouer au seul jeu disponible, celui que tu n’as même pas réclamé. Mais les autres ont compris, et eux ils jouent. Bon ça les emmerde autant que toi, mais ils jouent. Ils se sont fait une raison. Toi tu ne voulais pas.

Toi tu voulais faire ton malin, tu voulais dire ce que tu pensais de notre justice. On t’a laissé dire, et maintenant tu sais pourquoi. Eux, ils fermaient leur gueule à l’abri derrière ce porte-parole boutonneux que tu étais, et maintenant que tu viens de te rendre compte que vous avez tous vieilli, ils assurent au jeu, pendant que toi… Tu te réveilles tout juste, tu as perdu tes rêves, tu t’aperçois que tu as gaspillé la seule énergie dont tu disposais pour les rendre réels, à force de râler tout le temps.

Tu ne sais finalement rien faire, rien d’autre que râler, mais tu ne saurais même plus utiliser ton porte-voix aujourd’hui, quand bien même tu pourrais t’en fabriquer un. Et personne ne te prêtera le sien. Parce que, même chez les mieux intentionnés, ce sont tous des experts en silence. Si tu l’ouvres, ils vont passer pour des cons, alors ils ne voudront jamais de toi. Dans leur porte-voix, ils sont bruyamment silencieux. Et on les paye pour ça.

Tu ne sais rien faire, et on te crèvera si tu résistes. Tu sais pas manier le pognon, et on arrive à te baiser avec nos merdes inutiles de cette manière tout en couleur et en bruit musical qui te rendent les autres, tes semblables, les acariens lambda, insupportables quand ils ne savent pas se maîtriser de succomber à la fée Consommation.

Tu te fouteras toi-même dedans, on t’a déroulé le tapis rouge pour ça, il n’y a plus qu’à te laisser porter. Ton cynisme ne te mènera nulle part ailleurs que dans la tristesse, parce qu’on t’a convié à ce jeu où les mecs comme toi, les acariens parmi les acariens, perdent d’avance.

Les acariens lambda aussi ont perdu d’avance, mais quand ils te regarderont te perdre, sombrer pour ne plus jamais réapparaître, sans se douter qu’à la moindre défaillance, à la moindre occasion qu’ils saisiraient d’ouvrir les yeux sur leur vie et de se laisser aller à un bref découragement, on les perdra eux aussi. La vie de chacun ne tient qu’à un fil, mais il n’est pas besoin de le trancher, une vibration suffit. Seul un fil vibre. Les autres restent dans cet état de tension. Et toutes ces poussières qui s’étaient posées sur ce fil, comme ces poussières qui agrémentent vos vies, ton boulot, ta famille, ta télé, tes crédits, éclateront dans les airs à la moindre vibration. Et toutes les insignifiantes poussières de ta vie seront perdues à jamais.

Tous vivent dans cette crainte. Nombreux rêvent d’une vibration générale. Mais ça n’arrive jamais. Quelques fils peuvent vibrer en même temps, mais ils ne perturbent pas la tension des autres fils. Chaque jour, on fait en sorte que la tension soit plus solide que la veille, et les siècles passent avec l’acceptation des générations d’acariens lambda qui se succèdent plus vite encore.

Ta voix ne compte pas. On s’en passerait sans problème. D’ailleurs, personne ne te comprend. C’est pour cela que tu peux râler. Bien sûr tous sont concernés. Mais chacun est trop désensibilisé pour te comprendre. Tu l’es toi-même. Si un autre venait râler à ta place, tu ne le comprendrais pas. Et tu passerais ton chemin. Exactement ce que les autres acariens font avec tes plaintes. Ils ne comprennent pas tes mots. Ou ils n’ont pas le temps. Et s’il arrive que certains t’entendent, tu n’es pas assez présent auprès d’eux à chaque instant pour que ton sentiment prévale à long terme.

Sans les connaître, nous nous le sommes. Omniprésent sans pour autant vivre avec eux. On leur a inventé les pubs à la télé, la chanson creuse qui passe à la radio deux fois le matin, deux fois l’après-midi, les affiches des films panpan-boumboum dans le métro, sur les bus, sur le bord des routes. Nous, on a le pouvoir, le pouvoir de leur proposer trois centimes de réductions sur le jambon et le sopalin. Le pouvoir de leur faire payer deux fois le prix sur une décennie pour une bagnole pourrie qui brille autant que la bagnole pourrie qu’ils ont aujourd’hui brillait il y a dix ans. Et nous au moins, avec toute cette merde, on arrive même à leur arracher un sourire. Toi avec tes plaintes, tu ne fais que les foutre en rogne à vie, mais ça s’arrête là. Ils sont aussi forcés de jouer. Tu n’es pas un papillon. Les papillons n’existent pas. On vous a juste montré des acariens, qu’on a déguisés en papillon, parce qu’on vous laisse plus facilement rêver que réaliser vos rêves. D’ailleurs, nous aussi on est déguisé en papillons. Mais on est des acariens aussi. Disons des acariens d’élites. On a le droit de batifoler dans l’oreiller. Alors que toi, tu n’es qu’un acarien au milieu des autres, dans le vieux matelas que personne ne retourne jamais.

Mais tu le sais. D’autres le savent aussi, et ça les rend malades. Mais toi tu le sais et ça ne te dérange pas. Tu penses que tu en tires ta force. Peut-être. Parce que tu sens que pour jouer, et dans le meilleur des cas, jeter le plateau de jeu en l’air, tu as besoin de force. Contre qui ? Contre nous. Parce que tu sais que nous ne sommes pas des papillons. Et c’est ça qui, toi, te rend malade. Tu fais partie de la minorité clairvoyante qui sait cela, mais qui perd quand même.

C’est dommage pour toi. Mais ne va pas croire qu’on aille pleurer sur ton sort. Ce jeu, certains l’apprivoise. T’as qu’à faire un effort. Même si t’es pas doué. On s’en branle, d’autres moins doués y parviennent. Tu n’as pas d’autre alternative, marche ou crève. Et dis-toi que ça aurait pu être pire. T’aurais pu naître il y a deux cent ans. Ou dans deux cent ans. T’as la chance de vivre l’époque où il est possible de rêver à l’alternative qui ne viendra jamais, de quoi tu te plains ? Tu voudrais te battre parce que c’est l’époque idéale ? C’est le moment où jamais ? Eh bien vas-y, bats-toi. On te regarde. Tiens, il y en a d’autres qui se battent, rejoins-les. Non ? C’est des cons ? Ils se gourent ? Il y a plus important ? C’est vrai, mais fais comme tu veux : nous, on te regarde…

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