Hasard du cerveau malade

Publié le par Yves Rétaud

Les coïncidences, tout de même...

Je reviens tout juste d’un rendez-vous annulé à Montreuil. Il bruine, on est au début du mois d’octobre, tout est gris et glacial. Pour le trajet, en tramway et en bus, j’ai pris un bouquin qui trainait chez moi.

Ca raconte l’histoire d’un bataillon de police allemande qui, en 1942, raflait des Juifs dans des villages polonais pour aller les fusiller dans les forêts voisines. Il est dit qu’un jour, une rafle prenant trop de temps, on décida, au lieu de procéder à des allées et venues interminables, de transporter toutes les victimes restantes en un voyage. Quelqu’un eut l’idée de nouer des cordes bout-à-bout, d’encercler les Juifs à l’intérieur, et de faire avancer le troupeau en un bloc compact jusqu’au lieu d’exécution. Fiasco. Les Juifs de tête avançaient à un rythme soutenu, mais le fond du paquet, principalement composés de vieux, d’enfants et d’impotents, était compressé contre la corde, s’écroulait, se piétinait, on devait les pousser ou les fusiller sur place pour ne pas entraver la marche plus que ce n’était déjà le cas. Quelques minutes plus tard, on abandonna le système et la corde, qui fut simplement remplacée par la menace des fusils.

C’est là que je suis descendu du bus, à cinquante mètres de mon immeuble. Je traverse une rue et vois une classe de primaire en déplacement, encerclée par ses accompagnatrices en uniforme jaune fluo. Notre route se croise, et j’eus mon sourire cynique : les gamins formaient deux rangées, comme on leur demande souvent. Le détail croustillant étant qu’entre les deux colonnes, on avait déployée une corde que chaque bambin devait tenir pour ne pas se disperser.

Ce genre de hasard m’arrive souvent. Je continuais mon chemin de mon côté et repensais, en arrivant devant mon immeuble, à ces moments familiers où la vie se déroule innocemment en exhibant inconsciemment son passé de déshumanisation, et, comble ultime de ce message mystico-cynique, je me suis souvenu en regardant les commerces alentours que j’habitais dans un quartier juif…

C’était trop beau pour ne pas ajouter ce sinistre comique de situation dans ces pages…

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